Ce travail est le résultat de plus de 2 ans de partage. Il m’a entraînée beaucoup plus loin que je ne le pensais au départ, il a laissé des traces, profondes, durables.

 

 

Début 2018, Karine doit se faire opérer d’un cancer de la langue très agressif. Malgré l’opération, la maladie évolue et se propage dans sa gorge. Elle me demande alors de l’accompagner photographiquement dans le voyage qu’elle va faire à travers la maladie. Elle qui était chanteuse et comédienne, était touchée à l’endroit même qui lui permettait de s’épanouir, de transmettre et de partager ses émotions. Par la photographie, elle voulait partager son combat quotidien, montrer qu’au delà de la souffrance il y avait la vie, il y avait l’espoir. Elle souhaitait témoigner, avec pour objectif la guérison, elle y croyait fort, elle s’est battue jusqu’au bout mais son courage et sa force intérieure n’ont pas suffi à vaincre la maladie.

 


Elle est morte le 18 janvier 2020, je l’ai accompagnée sur ce chemin avec pour seules armes ma tendresse et mon appareil photographique. Elle m’a entrainée dans son intimité,  m’a fait partager ses joies, ses souffrances, dans un tourbillon émotionnel très fort dont je suis sortie bouleversée.

 

Durant cette longue période, nous nous sommes fixées des rendez-vous photographiques, chez elle, à l’hôpital, moments de vie, de souffrance, de création, de grands ou petits bonheurs. Nous étions intimes, elle me donnait beaucoup, de ses joies, de ses peines. Devant l’appareil, elle ne voulait rien cacher. Ces moments pris sur la maladie étaient des instants précieux. Pour moi, pas de distanciation possible, je me devais d’essayer d’être à la hauteur, entière et digne. Je ne pouvais pas le concevoir différemment.

 

J’ai arrêté de la photographier en novembre 2019, elle savait que la maladie l’emportait, elle m’a demandée de faire vivre ces photographies, je souhaite qu’elles soient le témoignage de son courage et de sa dignité. Elle était belle !

Francis Ferrié, son compagnon, m’a offert ces quelques mots :

 

« Karine Hardy était une femme libre et fière comme une louve des steppes. Elle promenait sa créativité féconde des arts plastiques au théâtre, de toiles colorées en chants profonds. C'était, au sens strict du terme, une force de la nature, gourmande de vie, d'amour, de poésie et de mets délicats. Son corps expressif, léger et dense à la fois, était pour elle un véritable outil de création.

 

Elle était aussi un peu sorcière, très rêveuse, mais gardant les deux pieds bien sur terre, solidement  ancrée. Comme elle avait coutume de le dire, elle possédait « un nez de chien » et était reliée au monde par ces choses invisibles que sont les odeurs ou l'intuition. Elle adorait travailler un texte, en saisir le sens profond et trouver la façon la plus complète de le transmettre. Travailler avec elle demandait de se hisser à la hauteur de son exigence.

 

    La maladie l'a privée peu à peu de ses capacités à jouer, danser, vibrer, mais à chaque geste impossible, à chaque renoncement, elle répondait en posant un acte concret qui lui permettrait d'ouvrir d'autres possibles. Elle a enduré la douleur et la peur avec un courage et une dignité qui forcent le respect, épargnant à son entourage plaintes et angoisses. Jusqu'au dernier jour elle a réuni le peu qui restait de son énergie déclinante pour tenter de goûter le plus petit plaisir encore permis, une  cuillère de sorbet, une gorgée d'eau. Comme durant toute sa vie, elle était tout entière dans le moindre de ses gestes.

 

    Karine Hardy était une belle femme mystérieuse, elle parlait de son corps comme d'un véhicule et je sais que son esprit fantasque continue son chemin, en liberté. »